Travaux d'hiver

J'attends ma dernière commande, quarante cinq mètres de corde en chanvre naturel, diamètre 6mm.
J'ai longuement hésité, pour un prix nettement inférieur j'aurais pu commander un rouleau de 220 mètres en Allemagne. J'ai préféré pour cette première commande une entreprise française.
Il faudra compter plusieurs jours de traitement pour ces 45 mètres de corde. De la patience, un peu de minutie, un long temps de préparation qui me ravit.
De la patience, bien sûr que j'en ai !

Le temps pourri influence mon humeur. L'hiver s'estompe, le printemps s'annonce, je m'enfonce. Enfin peut-être pas, juste un léger repli, dans ma bulle, au chaud. Les parois de verre se sont hissées tout autour de moi. Des bruits sourds venus de l'extérieur passent comme des ondes. Je suis dans un de ces moments hyper vulnérable. Comme une éponge, j'absorbe la douleur, enfermée en moi elle se démultiplie. Je me barricade pour ma propre protection, pour mon propre bien. Je me sais bien trop fragile alors je reste simplement concentrée.

Opération design, j'ai commencé la fabrication de la lampe de table. Du cuivre, de l'étain et des soudures, je progresse. Ce n'est pas bien compliqué. Tu vois, je m'aménage un petit coin dans le salon, une table sortie de la poussière du grenier, mon matériel, un film pour rompre le silence et un peu de temps.

C. est passée. Bavardage rapide. Elle en a marre des fêtes, de l'alcool et de la drogue. Elle a tenté d'arrêter tout en même temps. Ça n'a pas tenu bien longtemps. Je la regarde, là, sobre, toute droite dans la cuisine. Je vois de la fatigue, beaucoup de fatigue. Je ne trouve pas les mots, je tente de bouger les muscles de mon visage pour dire... Pour dire quoi ? Que j'ai peur ? Ça ne t'aidera pas. Que je ne peux pas t'aider, je ne peux pas te porter. Ça ne t'aidera pas.

Et puis je retourne à mes trucs et mes bidules, mes machins sur Internet. Ouais j'suis bien là. Enfin bien, c'est un peu facile à dire. Là, faut pas trop me parler. Il y a au mieux deux personnes capables de m'approcher en ce moment. Un seul geste de travers et c'est la disparition pour un bon moment !

Le soleil pointe son nez. Il ne fait pas bien chaud dehors mais dans mon jardin à faire mes trucs et mes bidules je suis bien. La Nature a toujours eu ce pouvoir réconfortant sur moi. Des échanges simples et sans ambiguïté, sans masque et sans parole. Je ne risque pas de me tromper. Et puis, là, au moins je ne demande pas si j'ai ma place.